Académie des technologies

TRIMESTRIEL DE L’INTELLIGENCE TECHNOLOGIQUE #7
Directeur de la rédaction : Patrick LEDERMANN
Auteurs : Christian JOUBERT (Altran), Michel LAROCHE (Académie des technologies), Jean-Paul GOMEZ (Altran)

Nouveaux processus de développement

Les promesses de l’intelligence artificielle basée sur la donnée vont-elles supplanter la culture du modèle ?

Durant plus de deux siècles le développement de l’industrie a su profiter du mouvement des sciences qui progressaient concomitamment. L’association de ces deux mouvements a transformé les pratiques de l’ingénierie industrielle qui s’est écartée d’une démarche simple de réflexion suivie d’une réalisation, et de l’expérience de la réussite ou de l’échec, pour tirer profit des nouvelles connaissances et développer des démarches prédictives. Progressivement l’ingénierie s’est construite puis établie sur les bases que l’on connait maintenant :

– Compréhension et modélisation des phénomènes physiques à la base du comportement des « produits » tout au long de leur vie.

– Volonté de prévoir le mieux possible, sur la base des modèles précédemment établis, le comportement de ces « produits » face aux conditions d’utilisation (attendues ou observées).

C’est la « culture du modèle ». Elle concerne toutes les phases du processus « produit », conception, vérification-validation, exploitation et maintenance des « objets », ou des « systèmes » dans lesquels ils sont intégrés.

Mais cette culture, très « mécanicienne », et les processus de développement associés, montrent quelques carences lorsque les systèmes se complexifient, en particulier lorsque les « logiciels embarqués » prennent une place importante, mais pas seulement, comme le montre l’exemple des difficultés à identifier, lors de la conception, les solutions globalement optimales, par opposition à un optimum local, ou à explorer tous les cas de fonctionnement pouvant être rencontrés.

La période récente, celle de l’informatisation, celle des logiciels embarqués, celle des bases de données massives à explorer, gérer et exploiter, a été l’occasion de voir éclore de nouvelles approches pour développer les outils spécifiques de ce domaine. Une nouvelle « culture » est née celle de de la « donnée ».

La question de la fusion de ces deux cultures se pose depuis plusieurs années alors que les objets connectés et l’Intelligence Artificielle interviennent de façon massive et opportuniste.

Mais leur orchestration intelligente n’est encore qu’en émergence. La culture du modèle sera-t-elle submergée par celle de la donnée ? Comment cela va-t-il évoluer ? Quels espoirs peut-on fonder ? Que peut-on proposer ?

Constats

Les méthodes d’ingénierie système-produit-technique (OT) peuvent apparaître lourdes (attention à ne pas les submerger de données inutiles), mais elles ont fait leurs preuves en répondant à des exigences essentiellement de fiabilité.

Les méthodes de l’ingénierie de l’information ont elles aussi fait leurs preuves, avec en général un niveau moindre de formalisation ou modélisation car répondant essentiellement à des exigences de disponibilité.

Par ailleurs on constate une grande multiplicité des méthodes d’ingénierie, utilisées en mode globalement opportuniste mais peu organisé. Et de leur côté, les systèmes sont de plus en plus foisonnants en termes de fonctionnalités, de constituants, de parties prenantes ; et leurs interactions sont de plus en plus nombreuses et intriquées.

Or la connaissance, la conception et la maintenance prédictive des systèmes nécessite – justement – une approche d’ensemble, cohérente et construite à partir des besoins et des objectifs poursuivis, qu’ils soient fonctionnels, de performance ou concernent la sûreté de fonctionnement, la sécurité des données, la protection des données, la validation ou la certification.

Du point de vue de l’humain et des compétences mobilisées, on constate encore à ce jour une grande scission culturelle entre l’ingénierie dite technique des objets et celle de l’information. Leur intégration et la double compétence associée ne sont encore qu’une exceptionnelle réalité. Et comme la « mode » est à la donnée, on peut nourrir des craintes sur l’incorporation de concepts de modèles, plus spécifiques de l’ingénierie technique de l’objet dans celle de l’information.

Christian JOUBERT (Altran), Michel LAROCHE (Académie des technologies), Jean-Paul GOMEZ (Altran) abordent dans ce dossiers des questions transverses illustrées par quelques constats, donnent quelques conseils et dressent des perspectives d’évolution.

Sommaire

1    La culture des modèles pour les produits et systèmes physiques

1.1.     L’ingénierie des systèmes
1.1.1.    Le cycle en V, la Planification, la Vérification et la Validation (V&V)
1.1.2.    Les besoins, le « Design » précoce et l’exploration du champ des possibles
1.1.3.    La traçabilité entre exigences, modèles, réalisations et V&V
1.1.4.    La sûreté de fonctionnement et les modèles
1.1.5.    La maintenance basée sur les modèles
1.2.     L’ingénierie physique et la modélisation multi-disciplinaire
1.2.1   L’ingénierie, le design, la modélisation et l’analyse physique et multidisciplinaire
1.2.2   L’ingénierie, le design, la modélisation et l’optimisation multidisciplinaire
1.3.     L’électronique programmable et le calcul embarqué

2    La culture de la donnée en ingénierie de l’information

2.1     Les systèmes d’information : adéquation, conception et maintenance
2.1.1     Les bases de données et leur conception
2.1.2     La sémantique et les données
2.1.3     La statistiques et les méthodes de classification
2.1.4     La maintenance basée sur les données : le 6-Sigma

2.2     La Recherche opérationnelle

3    L’émergence de l’ »Intelligence Artificielle » et sa nature

3.1     Le « Big Data », le « Nuage (Cloud) » et la globalisation
3.2     Les objets connectés et l’intelligence « embarquée
3.3     Les systèmes experts à l’ancienne
3.4     Les algorithmes génétiques
3.5     Le Machine-Learning, les réseaux de neurones : fiabilité et confiance
3.6     La maintenance basée sur les données : l’IA pure et agnostique

4    Les constats

4.1     La question de la centralisation-décentralisation
4.2     L’exemple de la maintenance
4.3     La question de la traçabilité et de l’explicabilité

5    Conclusions, conseils et perspectives