Académie des technologies

Mise en œuvre des techniques de séquençage de nouvelle génération en France : rapport et recommandations

L’Académie nationale de médecine et l’Académie des technologies ont rendu public un rapport commun « sur la mise en œuvre en France des techniques de séquençage de nouvelle génération », adopté le 23 février.

La France accuse un retard certain dans le domaine du NGS et ne dispose pas d’infrastructures nationales de très haut débit capables de réaliser des centaines de milliers d’analyses par an, infrastructures que d’autres pays comme les Etats-Unis, la Chine ou le Royaume Uni ont déjà créées ou sont en train de s’y consacrer.

Conscientes de l’accélération de la mise en œuvre de ces technologies, l’Académie nationale de médecine et l’Académie des technologies ont réuni un groupe de travail commun en 2014 pour évaluer ces développements et proposer des recommandations relatives à la conception et à la réalisation d’une telle structure en envisageant les divers aspects d’ordre organisationnel, règlementaire, technologique, économique, éducatif et éthique à prendre en compte.

Le bien fondé de la démarche de séquençage du génome

Les techniques de séquençage de l’ADN nées à la fin des années 70, se sont automatisées au cours du projet Génome Humain (années 90) pour devenir d’exécution rapide et hautement performantes. On parle aujourd’hui de séquençage de nouvelle génération (« Next generation sequencing » ou NGS). Le coût du nucléotide séquencé a été divisé par 100 000, et le temps d’acquisition des données génomiques extrêmement réduit. Ces progrès répondent aux exigences d’une approche clinique des maladies humaines et d’une médecine personnalisée ou de précision. L’utilisation des données de séquençage du génome du patient permet dans un nombre croissant de cas d’affiner le diagnostic médical et le pronostic, et de choisir le traitement le plus adapté à la pathologie décelée.

De très nombreux exemples démontrent le bien-fondé de cette démarche. Ainsi, ce type d’analyses est déjà utilisé en France en pratique hospitalière dans le dépistage des « maladies rares » et dans le traitement des cancers pour lequel l’Institut national du cancer (INCa) a mis en place une organisation nationale structurée faite de 28 plateformes de génétique moléculaire des tumeurs. On peut ainsi rendre plus aisé le dépistage des mutations responsables des maladies héréditaires et, aussi, mettre en évidence l’extrême hétérogénéité de tumeurs du même organe, ce qui conduit à des thérapies ciblées, comme par exemple dans les cancers colorectaux au stade IV où l’existence de mutations du gène K-RAS rend inefficace le traitement par un anticorps monoclonal anti-EGFR, alors qu’à l’inverse dans le mélanome métastasé, la mutation V600E du gène BRAF est une indication au traitement par le verumafinib.

Comment passer d’une analyse ciblée de quelques gènes à l’ensemble de l’exome ou plutôt du génome entier ?

Ces techniques sont également très utilisées en recherche, que ce soit pour mieux connaître les relations phénotype-génotype dans les deux types de pathologies déjà mentionnées, mais aussi pour découvrir les variants (« single nucleotide polymorphism » ou SNP) présents dans les maladies communes non transmissibles. La question qui dès lors se pose n’est pas « Faut- il développer l’approche génomique en médecine ? », mais « Comment passer d’une analyse ciblée de quelques gènes à l’ensemble de l’exome ou plutôt du génome entier ? » dans la mesure où seul le séquençage du génome entier permet d’avoir une vision exhaustive de l’exome.

De plus, l’analyse du génome complet délivre beaucoup plus d’informations capitales pour la régulation génique que celle de l’exome seul, et de meilleure qualité, même si actuellement on ne sait pas encore toutes les analyser et les comprendre. Par ailleurs, parallèlement au développement de la médecine personnalisée, des capacités importantes de séquençage du génome permettraient de substituer par exemple aux recherches de trisomie par amniocentèses, responsables d’avortements ou de risques pour le fœtus, une analyse de l’ADN fœtal présent dans le sang maternel circulant.

Développer des capacités d’analyse du génome : une nécessité pour mettre en place une médecine personnalisée

Le Comité bi-académique Académie de Médecine – Académie des Technologies est arrivé à la conclusion qu’il devient nécessaire, pour maintenir la place de la France en bonne position dans les avancées de la médecine personnalisée, de développer aussi rapidement que possible à l’échelle nationale des capacités d’analyse suffisantes des génomes utilisant la dernière génération des technologies actuellement disponibles.

Les auditions réalisées par le Groupe de travail commun aux deux académies permettent, en effet, de conclure à un retard certain en France par rapport à des pays comme les Etats Unis, la Chine ou la Grande Bretagne, dans la maitrise des technologies tant du point de vue du séquençage proprement dit que dans le traitement et stockage des données. Le groupe de travail réuni par Aviesan le montre également fort bien.

Conscients de ce que le développement des capacités d’analyse souhaitable à terme pose de par le volume des données à analyser, de nombreuses questions organisationnelles, réglementaires, technologiques, économiques, financières, éducatives et éthiques nous suggérons fortement qu’une première étape voit la création d’un démonstrateur qui permettra de tester en vraie grandeur les solutions disponibles.

En revanche, il est permis de penser que le changement d’échelle dans l’analyse du génome, tel qu’il est esquissé, offre une grande opportunité pour le développement non seulement de la médecine, mais également de plusieurs filières industrielles dont celle du médicament et des tests diagnostiques. Ainsi, les académies considèrent que si le séquençage nécessitera, dans l’immédiat, un passage obligé par le fournisseur de machines américaines Illumina Inc., les compétences industrielles et de recherche françaises devraient permettre de compenser cet inconvénient par une approche informatique de très haut niveau réalisée dans le cadre national.

Recommandations

A l’issue de l’analyse de la situation présente dans notre pays, l’Académie nationale de médecine et l’Académie des technologies formulent les recommandations suivantes parmi lesquelles les quatrième et cinquième supposent une modification de la législation :

  1. Mettre en place une unité de démonstration d’une taille suffisante pour réaliser de l’ordre 40.000 analyses de génomes complets par an, leur stockage numérisé et leur interprétation en y associant le plus grand nombre de partenaires « utilisateurs » possibles qui participeront ainsi à la création de valeur ;
  2. Favoriser la création d’une société française ou européenne fabriquant des appareils de séquençage de capacité équivalente ou supérieure à celle proposée par Illumina Inc afin de mettre fin à terme au monopole de cette société américaine. ;
  3. Développer en amont du séquençage, des approches microfluidiques de préparation des échantillons, et en aval, des logiciels d’interprétation des données en établissant les contacts nécessaires entre industriels et généticiens.
  4. Modifier la réglementation actuelle, imposant à tout projet de recherche impliquant le séquençage des génomes de dépendre d’une hypothèse physiopathologique dans la 
    mesure où l’objectif recherché par ce séquençage systématique est l’établissement de cette relation.
  5. Faciliter, en matière de recherches, sous le contrôle de la CNIL, le croisement de fichiers de données génétiques avec des fichiers de données cliniques concernant les mêmes malades en respectant l’anonymat des patients.
  6. Prévoir dans un second temps la création de 10 à 15 centres répartis sur le territoire, reliés entre eux et inter opérationnels et, de plus, connectés à un centre collectant l’ensemble des données génomiques mais, également, toutes les autres données