Académie des technologies

Juliette Kahn

  • sous-directrice adjointe
  • Ministère de l’intérieur et des outre-mer
  • 38 ans
  • Parrainée par Thomas Grenon en 2023

Pourquoi la tech ?

Pour simplifier, faciliter, progresser mais aussi
pour comprendre, mieux observer, aider à
décider. La tech n’est pas une fin en soi. Elle doit
permettre de faire société ou ne sera pas. Je me
souviens d’une discussion passionnée avec une
chercheure du CNRS pendant mon Master 2 me
disant : « la technologie, elle ne fait pas de
cadeau à ta modélisation : ça ne marche pas, ton
modèle est faux, ça marche, on n’a pas encore
prouvé que tu t’es trompée ».

Votre parcours ?

Je suis docteur en informatique avec une
spécialité en Traitement Automatique de la
Langue. J’ai toujours navigué entre plusieurs
disciplines scientifiques très complémentaires que
sont les sciences du langage, le traitement du
signal et l’informatique. D’une licence plutôt
orientée sciences humaines et sociales avec une
mineure en informatique, j’ai fini par soutenir une
thèse en informatique après un Master en
Industrie de la Langue… A partir de là, j’ai
travaillé à la construction d’une confiance dans
les systèmes dits d’Intelligence Artificielle. Après
un séjour au Stanford Research Institut comme
chercheure invitée, j’ai rejoint le Laboratoire
National de Métrologie et d’Essais où j’ai travaillé à la définition et la mise en œuvre de protocoles
d’évaluation de la performance de systèmes de
traitements automatiques de l’information, de
robots, de véhicules autonomes : tout ce qui
regroupe l’IA aujourd’hui. A ce moment-là, il
s’agissait de proposer la méthode la mieux
adaptée au niveau de maturité de la technologie,
depuis les premiers essais à leur future mise en
production… Les travaux que j’ai mené à l’IRT
SystemX à cette période sont le reflet de ce défi.
Par exemple, il fallait proposer les premiers tests
de simulation pour les véhicules autonomes. Et les
systèmes ont encore progressés ouvrant de
véritables opportunités applicatives. J’ai alors
rejoint l’État, d’abord le Ministère des Armées
puis celui de l’Intérieur et des Outres mer pour
contribuer à la transformation numérique des
Services Publics en tant qu’Ingénieure du Corps
des Mines.

Votre première expérience professionnelle dans la tech ?

Coder pour des projets de recherche alors que
j’étais en Master : des sites web d’abord du front
puis du back, des bases de données relationnelles
puis non-relationnel. Le tout au service
d’expériences pour mieux comprendre le langage
et les interactions homme-machine. J’ai découvert ensuite les enjeux de l’industrialisation, une autre aventure.

Que faites-vous aujourd’hui et pourquoi ?

Actuellement, je suis sous-directrice adjointe au
Ministère de l’Intérieur. Je suis en charge de la
transformation d’une sous-direction d’appui par
l’analyse de données. Cela consiste
principalement à piloter des projets de
transformation numérique : choisir les bons
produits n’est qu’une toute petite partie du job, il
s’agit avant tout de réfléchir aux impacts de ces
nouvelles technologies sur nos manières de
travailler, d’accompagner le changement par une
offre de formation et une évaluation des
compétences adéquate. J’aime ce métier car il
s’agit d’allier technique et humain afin de mieux
servir les politiques publiques auxquelles
contribue la sous-direction.

Vos atouts pour ce poste ?

Mon énergie, ma résilience et ma capacité
« hélicoptère » : rentrer dans le détail technique
capital avec des équipes passionnées puis négocier
une stratégie interministérielle à quelques heures
d’intervalle.

Vos défis passés, vos ratés, vos grands moments de solitude ?

Faire comprendre ce qu’il y a au-delà du buzz
word « IA ». Aujourd’hui, tout le monde dit faire
de l’IA. Mais pourquoi ? comment ? Quel est
vraiment la rupture ou l’impact de ces
technologies ? A quel moment cela vaut-il le coût
d’investir ? Je dois régulièrement construire des
argumentaires autour de ces questions. Et à
chaque fois, c’est un défi : Faire comprendre que
la bonne stratégie doit parfois rentrer dans des
détails techniques car c’est là que se situe la plus-
value. Ces éléments, un décideur n’a pas toujours
le temps de les prendre en considération. Mon
défi, c’est de rendre ces éléments intelligibles à
la fois pour les décideurs mais également
expliquer aux techniques pourquoi cela n’a pas
été compris et comment on va devoir trouver
d’autres solutions…

Vos meilleurs moments, les succès dont vous êtes fière ?

Les échanges avec les communautés techniques :
faire émerger un accord entre des industriels, des
universitaires, des représentants de la société
civile. Confronter les points de vue sur un sujet et
aboutir à un projet concret d’amélioration. Ces
dernières années, cela a toujours été une politique de petit pas : une amélioration après
l’autre. Mais au final, au bout de quelques
années, je me dis que l’on a bâti des solutions sur
de bonnes bases.

Des personnes qui vous ont aidée/marquée ou au contraire rendu la vie difficile ?

Mes collègues : tous les projets que j’ai menés ont
été le résultat d’un travail d’équipe. J’ai appris
au contact de chacun d’eux, qu’ils m’aient
confortéé dans mes choix ou au contraire qu’ils
m’aient exposé clairement leur désaccord.

Vos envies et défis à venir ?

Il y a beaucoup de choses à faire dans mon
domaine. Une vraie question, pour moi
actuellement, concerne l’émergence de nouveaux
champions français et/ou européens en matière
de numérique. Le modèle de développement
préconisé par l’Europe à travers ses derniers
textes nous permettra-t-il de conserver les
talents ? Il s’agit également pour le Service Public
de consolider ses forces en matière de numérique.
J’espère continuer à y contribuer.

Et que faites-vous en dehors de votre travail ?

Je cours, je joue à des jeux de Société et je
participe à des dégustations de vin. La tête, les
jambes, le plaisir dans la technicité.

Vos héroïnes (héros) de fiction, ou dans l’histoire ?

C’est une question difficile car j’aime les héros du
quotidien : ceux qui se lèvent le matin pour
accomplir ce qu’ils ont à faire parce qu’ils
pensent que c’est ce qu’ils ont à faire. Et j’en ai
rencontré beaucoup des héros de ce type. Merci à
eux.

Votre devise favorite ?

« Cultive ton jardin » comme dit Candide : fais ce
que tu es en mesure de faire.

Un livre à emporter sur une île déserte ?

« Le Monde de Sophie » de Jostein Gaarder. Je le
relis tous les 5 ans depuis mes 18 ans et à chaque
fois j’en tire de nouvelles réflexions.

Un message ou un conseil aux jeunes femmes ?

Croyez-en vous, essayez et choisissez bien vos
chefs !

LE QUESTIONNAIRE
DU CHATELET

Le questionnaire auquel répondent les Femmes de tech est une variante du questionnaire de Proust, ainsi nommé non pas parce que Marcel Proust se serait égaré dans le métro parisien, mais en mémoire d’Emilie du Chatelet, femme de lettres, mathématicienne et physicienne, renommée pour sa traduction des Principia Mathematica de Newton et la diffusion de l’œuvre physique de Leibniz. Elle fût membre de l’Académie des sciences de l’Institut de Bologne. Emilie du Chatelet mena au siècle des Lumières une vie libre et accomplie et publia un discours sur le bonheur.

Emilie Du Chatelet

Femme de lettre, mathématicienne, physicienne

1706 - 1749