Académie des technologies

Suzelle Lalaut

  • Ingénieure-élève au corps des Mines
  • 39 ans
  • Parrainée par Dominique Vignon en 2023

Pourquoi la tech ?

Je n’ai pas choisi la tech en tant que telle, je pense qu’on y vient simplement lorsque l’on est curieux du monde qui nous entoure et de son fonctionnement. A l’école, j’aimais autant les matières scientifiques que l’histoire par exemple ou la philosophie qui donnent les clés pour comprendre le monde actuel. Néanmoins, j’ai toujours été très attirée par les mathématiques pour leur côté logique et la puissance de ce que l’on arrive à faire dans cette discipline. C’est ce qui m’a guidée en priorité vers des études d’ingénieur tout en conservant une appétence importante pour les matières non scientifiques.

Votre parcours ?

Après mon école d’ingénieurs, j’ai conservé cette envie de travailler sur des enjeux qui ne soient pas que techniques. Un stage effectué dans la fonction publique sur la problématique de la qualité de l’air m’a donné envie d’intégrer un corps d’ingénieur dans la fonction publique d’État. Grâce à ce statut, je travaille depuis 15 ans sur des sujets qui sont au cœur des enjeux de demain : la prévention des risques naturels et industriels et la protection de l’environnement ou encore l’énergie et les enjeux climatiques. Cette expérience m’a donné envie de poursuivre ma carrière dans la fonction publique à un plus haut niveau de responsabilités et à passer un concours interne pour devenir Haut fonctionnaire en intégrant le corps des ingénieurs des Mines.

Votre première expérience professionnelle dans la tech ?

La tech fait partie de mon métier depuis toujours. Qu’il s’agisse de travailler dans le domaine de la protection de l’environnement ou dans l’énergie, il est indispensable de comprendre concrètement les mécanismes à l’œuvre : le fonctionnement d’une usine, les procédés de fabrication, la façon dont fonctionne notre système électrique, une centrale nucléaire, les effets des polluants sur le réchauffement climatique, etc. Ce qui m’intéresse dans mon métier, c’est que la tech recouvre différentes formes : elle peut être une fin en soi dans une dimension très technique (imaginer des solutions technologiques en réponse à un problème technique) mais également constituer un background de connaissances utiles au quotidien pour comprendre les enjeux d’un sujet et être en capacité de proposer des solutions concrètes et viables.

Que faites-vous aujourd’hui et pourquoi ?

Aujourd’hui, j’ai repris mes études dans le cadre de ma formation de Haut fonctionnaire. Juste avant d’intégrer le corps, j’étais cheffe de bureau au ministère de la Transition énergétique où j’étais en charge de la politique nucléaire et de la tutelle de l’industrie nucléaire, un poste passionnant qui m’a permis de rencontrer de nombreux acteurs et de contribuer à l’élaboration de la politique énergétique française.

Vos atouts pour ce poste ?

S’agissant de mon poste de cheffe de bureau, avoir une formation scientifique était évidemment un atout compte tenu de la technicité des sujets. Mais ce n’était pas suffisant : il faut savoir comprendre un écosystème avec ses acteurs et ses jeux d’influence, comprendre le cadre politique dans lequel notre mission s’inscrit, savoir faire preuve de créativité, d’écoute, d’empathie, d’adaptabilité y compris pour déployer d’autres compétences que celles strictement scientifiques (juridiques, rédactionnelles, stratégiques, etc.). C’est cette richesse qui m’a toujours plu dans mon métier.

Vos défis passés, vos ratés, vos grands moments de solitude ?

J’aime globalement me confronter à de nouveaux défis dans mon métier, quels qu’ils soient (managériaux, techniques, relationnels, etc.) car cela renforce ma capacité d’adaptation et mes compétences. Je vois ces défis comme un escalier que l’on monte et où chaque marche (défi) permet d’atteindre une marche plus haute et complexe. Dans cet état d’esprit, j’ai donc plutôt tendance à voir les moments difficiles comme des sources d’apprentissage plutôt que comme des voies d’échecs potentiels. Il y a toujours des enseignements positifs à en tirer même lorsque les choses ne se sont pas déroulées comme on l’avait anticipé.

Vos meilleurs moments, les succès dont vous êtes fière ?

En écho à la question précédente, de manière générale, avoir choisi de surmonter une nouvelle épreuve et en sortir avec le sentiment d’avoir réussi fait partie des meilleurs moments d’une carrière. De manière plus concrète, l’une de mes plus grandes fiertés est liée à un débat public que nous avons organisé autour de la gestion des déchets radioactifs. Le sujet du nucléaire en France est très clivant mais les efforts déployés par l’ensemble des acteurs, institutionnels, industriels, associations, experts, etc. ont permis au débat de se tenir et au dialogue de s’installer. Être remerciée à la fois par les acteurs de la filière et par les opposants au nucléaire pour la qualité de ce qui est ressorti du débat a été pour moi la plus grande récompense du travail investi avec mon équipe pour exploiter au maximum les marges de manœuvre dont nous disposions.

Des personnes qui vous ont aidée/marquée ou au contraire rendu la vie difficile ?

La fonction publique regorge de personnes talentueuses et créatives qui ont envie de faire bouger les lignes. Ces personnes, souvent des supérieurs hiérarchiques, ont grandement contribué à façonner la fonctionnaire que je suis aujourd’hui qui pense qu’à chaque niveau de la chaîne hiérarchique il existe un espace de création et de propositions pour faire avancer les sujets. La confiance qu’ils m’ont octroyée et leur ouverture d’esprit m’ont permis de prendre confiance en moi et en mes idées.

Vos envies et défis à venir ?

Plus j’avance dans ma carrière de fonctionnaire et plus je suis attachée aux missions de service public. Je pense que l’État a un vrai rôle à jouer pour répondre aux défis qui attendent nos sociétés, en bonne intelligence et collaboration avec les acteurs du monde privé, académique, de la société, etc. Devenir Haut fonctionnaire est pour moi l’opportunité de poursuivre cet engagement au service de la société en bénéficiant d’une marge de manœuvre plus importante et potentiellement encore plus impactante.

Et que faites-vous en dehors de votre travail ?

J’attache beaucoup d’importance à l’équilibre du triptyque vie professionnelle – vie personnelle – vie privée. Je réserve par conséquent des soirées pour aller chercher mes enfants à l’école et j’évite autant que possible de travailler sur mon temps libre pour pouvoir passer du temps avec eux ou me consacrer à des activités personnelles. Je ne crois pas à l’efficacité et à la créativité au travail sans cet équilibre.

Vos héroïnes (héros) de fiction, ou dans l’histoire ?

Les scientifiques Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson, qui ont grandement contribué aux programmes spatiaux de la NASA dans les années 60. Elles ont du s’affirmer dans un domaine scientifique dominé par les hommes et par les blancs dans un contexte de ségrégation raciale aux Etats-Unis. Un bel exemple de courage et de persévérance.

Votre devise favorite ?

« Ce qui est possible mérite d’avoir sa chance » d’Albert Camus. C’est une philosophie qui me plait en tant que fonctionnaire : toujours se poser la question de la marge de manœuvre dont nous disposons dans nos missions pour la mettre en regard des enjeux auxquels il nous faut répondre. Poursuivre alors toute piste qui nous parait se dessiner dans le champ des possibles…

Un livre à emporter sur une île déserte ?

Jules Verne sans hésiter pour la richesse de ses livres, basée à la fois sur des aventures palpitantes et sur une rigueur technique et scientifique dans l’écriture. Qui sait, Cyrus Smith pourrait peut-être m’aider à survivre…

Un message ou un conseil aux jeunes femmes ?

N’ayez pas de préjugés et n’ayez pas peur de vous orienter vers des filières et des métiers scientifiques, vous pourrez y occuper au choix des postes très techniques mais également des postes plus stratégiques et politiques. Dans tous les cas, la rigueur et l’esprit analytique que développe une formation scientifique sont des atouts précieux dans une carrière quelle qu’elle soit.

LE QUESTIONNAIRE
DU CHATELET

Le questionnaire auquel répondent les Femmes de tech est une variante du questionnaire de Proust, ainsi nommé non pas parce que Marcel Proust se serait égaré dans le métro parisien, mais en mémoire d’Emilie du Chatelet, femme de lettres, mathématicienne et physicienne, renommée pour sa traduction des Principia Mathematica de Newton et la diffusion de l’œuvre physique de Leibniz. Elle fût membre de l’Académie des sciences de l’Institut de Bologne. Emilie du Chatelet mena au siècle des Lumières une vie libre et accomplie et publia un discours sur le bonheur.

Emilie Du Chatelet

Femme de lettre, mathématicienne, physicienne

1706 - 1749