Qui est Alice Recoque ?
Alice Recoque, née le 29 août 1929 à Cherchell en Algérie sous le nom de Alice Maria Arnaud, est une informaticienne française pionnière dans l’architecture des ordinateurs dont celle du MITRA 15, succès de l’industrie informatique française. Elle fut également une visionnaire « oubliée » dans le développement de l’intelligence artificielle.
Sa formation : une Ingénieure diplômée de l’ESPCI
Alice Recoque fait sa scolarité en Algérie, où elle obtient son baccalauréat en 1947. Elle manifeste un intérêt pour la physique en observant le fonctionnement de l’alambic de son père et se passionne pour les mathématiques grâce à sa professeure qu’elle remerciera à l’occasion de ses cent ans. Elle est accueillie à Paris par son oncle maternel, Pierre Bourgoin, héros national pour son action pendant la 2e guerre mondiale, et qui deviendra député UNR de la 12e circonscription de Paris en 1958. Cet oncle lui conseille de préparer le concours d’entrée à l’École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles (ESPCI), une des premières grandes écoles françaises à accueillir des jeunes filles. Après deux ans en classes préparatoires au lycée Chaptal, Alice Recoque est reçue 4e au concours d’entrée en 1950 dans une promotion de 40 élèves dont 6 femmes. Elle se spécialise en électronique et se marie en juillet 1954 avec Robert Recoque, élève-ingénieur de sa promotion.
Sa carrière dans l’industrie
Ses débuts dans l’industrie informatique dans la Société d’Electronique et d’Automatisme (SEA)
Cette même année 1954, Alice Recoque est recrutée par la Société d’Electronique et d’Automatisme (SEA), entreprise de construction d’ordinateurs fondée six ans plus tôt par François-Henri Raymond et située dans un garage, une startup en quelque sorte. Elle met à profit ses compétences de physicienne pour réaliser des mémoires magnétiques à tores de ferrite destinées au CAB 1011 (machine cryptographique) avec l’objectif d’en réduire la taille, la consommation et le coût. La SEA invente et brevète le composant de calcul symmag. Alice Recoque participe ensuite à la conception d’un nouveau produit, le CAB 500, beaucoup moins volumineux que son prédécesseur. Il s’agit d’un miniordinateur de bureau. Sa conception réalisée en collaboration avec Françoise Becquet demande un travail constant d’invention, et Alice Recoque est co-inventrice de plusieurs brevets français et américains, ce qui n’empêchera malheureusement pas l’échec commercial du CAB 500.
Ses travaux au sein la Compagnie Internationale pour l’informatique (CII) et le succès du MITRA 15 dont elle est responsable
La SEA est absorbée par la CII créée en 1966, et Alice Recoque rejoint les laboratoires de recherche de la société, ce qui lui donne l’occasion de réfléchir à l’architecture des ordinateurs futurs. Elle coopère avec l’IRIA sur le projet MIRIA, petit ordinateur dont elle perçoit le potentiel. La CII lui confie ensuite la direction du projet Q0 d’un miniordinateur conçu en complémentarité et en réseau avec l’ordinateur IRIS 80, et destiné aux applications industrielles et scientifiques. Ce projet, lancé sous le nom de MITRA 15, sera un succès : 1000e exemplaire livré fin 1974, et 7000 exemplaires au total dont 20% à l’export.
Directrice de la mission intelligence artificielle au sein de Bull
À la fin de la CII, Alice Recoque se retrouve dans le groupe Bull. Après des activités de recherche sur les architectures de machines hautement parallèles – elle commence une thèse qu’elle ne terminera pas -, elle est nommée directrice de la mission intelligence artificielle (IA) en 1985. Elle conduit la stratégie et obtient la création du centre de recherche et développement du Groupe Bull pour l’Intelligence artificielle, le CEDIAG, avec une équipe de 200 personnes qui produiront la gamme de produits industriels génériques pour l’IA que sont KOOL et CHARME. Alice Recoque et son équipe accompagnent d’ambitieux projets, dits « systèmes experts », pour différents types d’organismes. Elle explore les possibilités de l’IA en matière de compréhension des langages naturels et anticipe de nouvelles applications qui verront le jour en 1990. Elle fonde enfin des espoirs sur l’approche neuronale dont elle souligne la capacité d’apprentissage.
Une femme engagée aussi dans l’enseignement supérieur
Alice Recoque a enseigné pendant 20 ans l’informatique, notamment la structure des ordinateurs, principalement à l’Institut Supérieur d’Électronique de Paris, à l’École Centrale Paris, à l’École Supérieure d’Électricité, à l’École Supérieure d’Ingénieurs en Électrotechnique et Électronique et à l’Institut Catholique de Paris. Elle dit avoir pris beaucoup de plaisir à enseigner car le « fait de n’avoir eu aucun support de cours préalable, vu l’époque, a compliqué l’exercice, ce qui l’a rendu plus enrichissant » reprenant ainsi une citation de Jacques Arsac.
Pourquoi est-elle une pionnière de la tech ?
Titulaire de nombreux brevets français ou américains, déposés seule ou en collaboration
Les premiers brevets d’Alice Recoque déposés entre 1956 lors de son début de sa carrière et 1966 portent sur les mémoires magnétiques et leurs circuits de commande. Les brevets suivants sont relatifs à l’architecture matérielle des ordinateurs, notamment sur les circuits de gestion et de contrôle des échanges.
Des articles de référence dans différents types de revues ou livres
Les publications d’Alice Recoque couvrent plusieurs des sujets qu’elle a traités lors de sa carrière notamment :
– « La microprogrammation des miniordinateurs » (1971)
– « Microprogrammation et machines virtuelles » (1972)
– « La structure interne des ordinateurs » article publié par les Techniques de l’Ingénieur en 1984 et toujours accessible sur ce site considéré comme une référence scientifique et technique
– « L’évolution de l’architecture matérielle des ordinateurs » (1980)
– « L’architecture multiprocesseur » (1973)
– « Qu’est-ce que l’intelligence artificielle » (1991)
Voir aussi la notice Wikipédia relative à Alice Recoque pour plus d’informations
Quelle reconnaissance d’hier et d’aujourd’hui ?
Membre de plusieurs comités scientifiques et institutions
– En 1982, Alice Recoque est nommée membre de la commission d’informatique du Comité national de la recherche scientifique, instance en charge de la définition de la politique du CNRS.
– De 1983 à 1986, elle est membre de la section 08 du Comité National du CNRS relative à l’Informatique, l’Automatique, les Signaux et Systèmes.
– De 1989 à 1996, elle est membre associée du Conseil général des ponts et chaussées.
– En 1978 participe à la réunion qui fonde la Commission Informatique et Liberté (CNIL)
– De 1990 à 1992, elle est membre du comité d’évaluation du projet européen de traduction automatique Eurotra puis de la commission d’étude qui suit l’exécution de ce projet.
Ses distinctions
– En décembre 1978 elle est nommée au grade de Chevalier dans l’Ordre national du Mérite et en août 1985 elle est faite officier dans cet ordre.
– En 2016 elle est nommée membre d’honneur de la Société Informatique de France
Le 2e supercalculateur exaflopique européen est appelé Alice Recoque
Ce deuxième calculateur exaflopique sera mis à disposition des chercheurs après son installation dans le site du Très Grand Centre de Calcul (TGCC) du CEA à Bruyeres- le-Chatel, en 2026. Son nom a été choisi en hommage à Alice Recoque pour ses travaux sur l’informatique.
Citations d’Alice Recoque
Sur la condition des femmes dans l’univers professionnel
– « Dans un univers très masculin j’ai cherché à oublier que j’étais une femme mais les autres ne l’oublient jamais »
– En 1985, elle dit être dans une position d’éminence grise « comme aujourd’hui j’avais là un pouvoir occulte, c’est souvent le cas pour les femmes, surtout dans le domaine technique »
Sur l’avenir de l’informatique et son impact sur la société
– En 1978 : « le phénomène informatique aujourd’hui connu de tous ne peut laisser personne indifférent car il s’agit d’une technique dont l’usage ne fait que s’amplifier, l’impact atteindra la société tout entière »
– En 1981 à propos de l’IA « la compétence française est indéniable …Nous sommes bien armés dans la compétition internationale »
– En 2018 ses préconisations sur l’IA : « intégrer convenablement l’IA dans l’ensemble des activités afin de les améliorer sans les perturber »
Sur la nécessité d’une régulation sur les bases de données personnelles et l’IA
En 1978 dans le cadre de la réunion fondatrice de la CNIL, il est nécessaire de mettre en place un garde-fou contre « le pouvoir de surveillance accru des entreprises et des États »
Une femme inspirante pour…
« Alors qu’un supercalculateur porte enfin son nom, l’histoire d’Alice Recoque est pour moi le symbole d’une femme qui a osé innover et évoluer dans un domaine où encore aujourd’hui les femmes ont du mal à trouver leur place. »
Caroline Chopinaud, pionnière de l’intelligence artificielle et leader du HUB France IA, et membre du réseau des Femmes de Tech de l’Académie des technologies
Références
– Carré, Marion. Qui a voulu effacer Alice Recoque ? Paris : Fayard, février 2024.
– Wikipédia. « Alice Recoque ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Alice_Recoque.
– Sèdes, Florence et Gaudel, Marie-Claude. « Hommage à Alice Recoque », Bulletin de la Société Informatique de France, no 17, avril 2021.
Illustration réalisée à l’aide d’une IA, à partir d’une photo d’Alice Recoque