Académie des technologies

Deux conditions essentielles pour réussir le défi de la nouvelle industrialisation de la France – Brève

L’industrie en France, après avoir connu une longue période de déclin entamée au tournant des années
1980, connait, depuis trois ans une légère reprise en termes de création nette d’emplois. Après deux
crises, on voit se développer un brusque regain d’intérêt pour l’industrie de la part d’hommes politiques de tous bords et d’une partie de plus en plus grande des Français. La crise « des gilets jaunes » en 2019 a durement mis en lumière les effets désastreux de la désindustrialisation dans les villes petites et moyennes avec des conséquences délétères pour l’emploi et en matière économique et sociale. La crise sanitaire a rappelé avec brutalité que la délocalisation des usines à l’étranger était un facteur important de perte de souveraineté et une vulnérabilité pour notre pays. Le 4ieme Plan des Investissements d’Avenir (PIA4), le plan France Relance conçu comme un accélérateur de souveraineté doté de 30Md€ pour la transition écologique et de 40Md€ pour la compétitivité industrielle suivi du plan France 2030 doté de 30Md€, permettent de lancer le grand chantier de la nouvelle industrialisation de la France. Pour relever ce défi, deux conditions essentielles sont à remplir portant, d’une part, sur les compétences et, d’autre part, sur le portage politique, la gouvernance d’ensemble et les processus.

Première condition : un plan d’urgence sur les compétences
Le premier frein à la réindustrialisation est la tension sur les emplois : 70.000 emplois industriels sont
actuellement non pourvus, tandis qu’une multitude d’autres le sont avec de grandes difficultés. Les
problèmes de recrutement sont essentiellement dus au manque d’attractivité de l’industrie dont les
causes multiples ont été analysées en profondeur par l’Académie des technologies, les plus importantes sont les suivantes :

  •  des stéréotypes négatifs persistent sur l’industrie, car les campagnes de communication des métiers ne tentent pas de répondre aux images persistantes de pollution, travail à la chaîne, licenciements fréquents qui affectent le secteur, de plus des efforts insuffisants de promotion sont faits en direction de la « nouvelle industrie »,
  • une image négative des métiers de l’industrie provient en partie de celle des formations qui y
    conduisent : enseignement peu satisfaisant de la technologie au collège, image sociale négative des
    lycées professionnels, statut déprécié des enseignements à vocation industrielle dans les lycées
    d’enseignement général,
  • des décalages entre les hautes compétences acquises et le niveau réel des missions confiées, ce point est critique notamment en ce qui concerne les jeunes ingénieurs,
  • une perception par les jeunes générations de la « raison d’être » des entreprises industrielles qui ne
    correspond pas toujours à leurs attentes face aux grands enjeux contemporains,
  • des zones d’emplois industriels souvent éloignés des territoires résidentiels, des difficultés d’insertion des débutants liés en particulier au manque de logements adaptés.

Face à ce constat alarmant l’Académie a plusieurs recommandations :

  • revoir en profondeur la façon avec laquelle la technologie est enseignée au collège, et la façon dont
    sont promues les sciences de l’ingénieur et les sciences et techniques industrielles au lycée,
  • consolider et amplifier les dispositifs d’apprentissage, les parcours sur mesure dispensés dans les
    établissements de formation professionnelle aussi bien pour les apprentis, les étudiants et les
    personnes en situation de reconversion,
  • le développement d’une vraie stratégie d’accueil des actifs et de leurs familles par les communes
    ayant des zones d’emplois industriels,
  • les entreprises doivent s’organiser collectivement, sur la durée, pour mieux faire connaître les métiers industriels (stages, en particulier dès la classe de 3e, visites, forums), pour mieux définir et partager leur « raison d’être » et enfin pour offrir de réelles possibilités de promotion sociale à l’ensemble de personnels,
  • les entreprises industrielles doivent veiller particulièrement au sens et à la qualité des missions
    confiées à leurs collaborateurs et que celles-ci soient en adéquation réelle avec le niveau de leur
    qualification.

Deuxième condition : un portage politique fort, une gouvernance favorisant l’innovation et
la réactivité.

Dans le monde d’aujourd’hui, conduire une politique de réindustrialisation de la France s’avère
beaucoup plus complexe qu’au sortir de la seconde guerre mondiale. Ainsi, les « recettes » auxquelles
certains se réfèrent encore aujourd’hui tels les grands programmes décidés par l’Etat régalien ne sont
plus adaptées. Il est bien plus pertinent d’étudier les dispositifs mis en place dans les pays
industriellement les plus innovants/performants ou les plus volontaristes : Etats-Unis, Allemagne,
Japon, Corée, Chine. Tout comme de tirer les enseignements des initiatives plus récentes prises en
France en particulier celle du programme des investissements d’avenir (PIA).
Les principales recommandations de l’Académie des technologies sont les suivantes :

  • un portage politique fort, une gouvernance et des processus clairs favorisant l’innovation et la réactivité. Le plan « Investir pour la France de 2030 » qui unifie le PIA et le plan France 2030 doit
    bénéficier d’un portage politique fort, interministériel afin d’incarner une vision, et d’assurer sur la
    durée le respect de la stratégie et des processus nécessaires à atteindre les objectifs fixés. De plus,
    la gouvernance d’ensemble doit être claire et se concentrer sur les aspects stratégiques et sur l’analyse de l’impact économique des projets lancés. Elle doit favoriser les projets innovants, être réactive et savoir arrêter ou réorienter des projets. Suivant la nature des projets, amont (recherche,
    développement technologique, démonstrateurs) ou aval (accès aux matériaux et intrants, aux
    compétences, aux parcs industriels, etc..), leur mise en œuvre doit être déléguée soit à un opérateur
    soit au ministère concerné et en premier lieu au ministère de l’Industrie qui doit redevenir un ministère de plein exercice.
    Les projets regroupés soit par cohérence filière soit par cohérence technologique (écosystème) doivent être définis en concertation avec les partenaires appelés à co-investir aux côtés de l’Etat. Ces partenaires, Conseils Régionaux et acteurs économiques, doivent être organisés par filières ou par écosystèmes lorsque le projet suppose un développement technologique important commun à
    plusieurs filières.Les processus de sélection des projets doivent permettre d’assurer transparence, réactivité et
    souplesse en cas de difficultés. Le piège classique du saupoudrage doit absolument être évité et tout ceci suppose une gouvernance des projets ouverte mais forte.

 

  • Une définition et une réactualisation régulière de la stratégie exhaustive et systémique de l’amont à l’aval : Organisée par filière industrielle ou par écosystème technologique, la stratégie doit intégrer tous les aspects : l’amont, le déploiement industriel, le déploiement territorial (infrastructures) et les standards et normes nécessaires. Les aspects de coopérations européennes ou multilatérales souhaitables ou indispensables pour des raisons d’indépendance stratégique, tels les composants sont aussi à prendre en compte en anticipant leurs conséquences en matière de mutualisation et de dépendance. Cette stratégie doit être réactualisée régulièrement en fonction des résultats obtenus et doit anticiper et traiter les problèmes importants.

 

  • Un Etat mobilisant tous ses moyens d’action pour renforcer les effets des politiques sectorielles. Il peut s’agir soit de politiques horizontales ayant un effet sur l’attractivité de la France comme la fiscalité sur la production, soit de compléments aux politiques sectorielles comme la politique d’achats stratégiques en appui à une politique assumée de souveraineté (médicaments, masques, équipements d’hôpitaux, cloud pour les besoins des administrations) ou encore comme la politique d’achats innovants ou comme une forme d’engagement pour favoriser le lancement des filières émergentes avant que les marchés ne soient pleinement établis.