Académie des technologies

Prendre plus de risques en recherche technologique et innovation, un impératif pour la France et l’Europe – Brève

L’Académie des technologies se félicite des initiatives prises ces dernières années pour renforcer la recherche technologique et l’innovation, elle appelle aussi à reconnaitre la prise de risques comme une valeur essentielle à la réussite des grands projets collectifs qui permettront à la France et à l’Europe de retrouver une position technologique et industrielle de premier plan.

La maitrise au meilleur niveau de la technologie : un enjeu essentiel pour la France et l’Europe
Les Etats-Unis et la Chine font de la supériorité technologique un enjeu majeur pour assurer leur leadership mondial militaire et économique, faisant douter de la puissance de l’Europe sur de nombreux sujets.
En outre, la position de la France s’est affaiblie depuis une vingtaine d’années dans certains secteurs
technologiques et industriels comme, pour n’en citer que quelques-uns le numérique (télécommunication, composants électroniques et informatique), la production et le stockage d’énergie. Plus récemment notre pays n’a pas su fournir le vaccin contre la Covid. L’Académie des technologies s’est déjà exprimée sur la recherche et l’innovation, notamment à l’occasion de la préparation de la loi de programmation de la recherche (LPR). Elle se félicite des dispositions prises par la LPR et des lancements du plan Deeptech de Bpifrance et de la stratégie d’accélération du PIA4. Au niveau de l’Europe, la création du conseil européen de l’innovation (EIC) dans le cadre du programme Horizon Europe et la mise en place de plusieurs projets importants d’intérêt commun européens (PIIEC) dotés chacun de plusieurs milliards d’euros sont des signes très positifs pour l’avenir. Pour autant, disposer de moyens nouveaux et importants ne constitue pas une garantie de succès. Encore faut-il retrouver l’esprit d’initiative en France et en Europe pour répondre aux enjeux parfois cruciaux auxquels nos sociétés doivent, dès maintenant, faire face.

Mettre en place des processus favorisant la prise de risques en particulier pour des projets à potentiel socio-économique élevé
Accepter la prise de risque et l’échec potentiel dans la recherche technologique et l’innovation
constitue une condition indispensable pour « être dans la course ». En effet, la technologie et l’innovation sont soumises à un environnement compétitif très intense. Il ne suffit plus d’être excellent,
car pour réussir il faut être le premier à publier, à breveter, à proposer un produit ou un service innovant. L’adage « the winner takes all » attribué au numérique s’étend bien souvent à tous les aspects de l’économie. Cela suppose d’aller vite dans les prises de décisions y compris quand toutes les conditions de réussite ne sont pas encore acquises quitte à tester rapidement les concepts proposés et à arrêter les projets en échec ou à les réorienter. Ceci est souvent plus difficile à faire en France que dans le monde anglo-saxon car notre culture s’accommode mal de la prise de risque Nous sommes par trop prompts à condamner à la fois l’échec d’un projet et celui qui en est le porteur, sans considérer la hauteur de l’enjeu et les risques associés.
L’Académie des technologies recommande :

  • de compléter les dispositifs actuels de soutiens au financement de la recherche technologique et
    de l’innovation industrielle, par la mise en place de processus favorisant les projets risqués mais à
    forts potentiels qui, en cas de succès, conduisent à des innovations de rupture ou radicales. La pratique des « grands challenges » finançant plusieurs équipes de chercheurs publics et industriels mises en compétition pour lever des verrous technologiques difficiles ou inventer puis démontrer des concepts de nouveaux produits ou systèmes poussant les technologies au bout de leurs possibilités est un exemple intéressant. Mis en œuvre avec succès aux Etats-Unis par la DARPA depuis plus de soixante ans et plus récemment en France par l’ANR
    ces challenges pourraient se généraliser aux différents domaines où des ruptures technologiques sont jugées nécessaires par les ministères ou les filières industrielles. Ces grands challenges ont aussi la vertu de créer et valoriser des équipes de scientifiques, de technologues et d’entrepreneurs, d’accélérer le passage des résultats de la recherche fondamentale vers des applications et de démontrer au grand public les résultats de la recherche,
  • de consacrer plus de moyens aux développements expérimentaux, souvent en partenariat public-privé, permettant de valider de nouveaux produits ou systèmes en situation opérationnelle. Cela avant que les coûts importants de leurs développements industriels ne soient engagés,
  • d’inciter les grandes entreprises à coopérer avec les startups technologiques, à s’interroger sur
    leur processus d’innovation, à la place donnée à leur recherche interne et collaborative et à leur
    gestion des jeunes talents technologiques qui pousse certains d’entre eux à démissionner voire à partir à l’étranger pour rechercher des postes plus intéressants,
  • d’analyser les processus de décisions et d’autorisation d’engagement des travaux de façon à réduire les délais de démarrage sur les projets à fort enjeu, ou lors de situations d’urgence, comme cela a pu être le cas dans le cadre de la pandémie,
  • d’inciter l’Etat, les établissements publics de recherche et les entreprises à trouver une solution au
    problème de la propriété intellectuelle (PI) générées par les activités de recherches partenariales, et très souvent inutilement, mais chèrement, gardée dans les établissements de recherche,
  • de valoriser dans l’évaluation des chercheurs publics ou privés leur prise de risque telle que la
    participation à des challenges, à des travaux de recherche dans des équipes multidisciplinaires,
    l’initialisations de travaux sur de nouvelles thématiques, des séjours dans des entreprises ou dans des laboratoires publics sur des missions à fort enjeu, etc…
  • de saisir de façon déterminée mais lucide les opportunités de coopération en particulier dans le
    cadre européen.

Face aux défis que nous posent les Etats-Unis et la Chine, la France ne peut pas agir seule sur les grandes technologies. La coopération avec les pays de l’Europe soit dans le cadre des programmes de la commission européenne ou dans celui des programmes multilatéraux comme Eureka constitue un risque mais surtout une opportunité. La mutualisation des risques et des retombées peut être organisée au niveau de chacun des programmes.
L’Académie appelle les acteurs concernés à se mobiliser afin d’organiser des synergies plus fortes entre
les programmes français et européens, la présidence de l’Union européenne par la France lui en donne
l’opportunité.
La question de la création d’Agences pour l’innovation de rupture, type DARPA, évoquée par de nombreuses personnalités, gagnerait à être organisée au niveau de l’Europe plutôt qu’au niveau de chacun des pays. En effet, rechercher une position de leader peut signifier d’explorer plusieurs voies
en parallèle, ce qui peut être envisagé au niveau de l’Europe en organisant une coordination entre Etats membres, mais plus rarement, pour une raison de couts, au niveau de chacun d’entre eux.