Académie des technologies

Avis de l’Académie des technologies

Version du 10 octobre 2012, adoptée par l’Assemblée le 10 octobre 2012

Par le présent avis, l’Académie des technologies apporte son éclairage sur les questions que pose l’émergence de la biologie de synthèse (BS) dans le domaine des applications industrielles des biotechnologies. Il a pour objet de situer les potentialités de ce qui marque le passage historique de la biologie de l’état de science naturaliste à celui de technologie, dans le contexte des enjeux actuels industriels et sociétaux, et de proposer des mesures d’accompagnement pour favoriser l’émergence d’une bio-économie basée sur la connaissance.

La biologie de synthèse

La BS est définie par l’OCDE comme « l’ingénierie de composants et de systèmes biologiques qui n’existent pas dans la nature et la réingénierie d’éléments biologiques existants ; elle porte sur la conception intentionnelle de systèmes biologiques artificiels ». Elle se situe dans la continuité du génie biochimique.

Á l’origine de son développement récent, on trouve l’extraordinaire progrès des technologies de lecture et d’écriture de l’information génétique, associé au développement des puissances de calcul disponibles, des possibilités d’analyse des données issues du séquençage des génomes, de la modélisation du vivant, de la caractérisation des flux métaboliques cellulaires, de la robotisation et de la miniaturisation. Il en est résulté à la fois une approche systémique de la biologie cellulaire, et des capacités totalement nouvelles d’ingénierie moléculaire des protéines, notamment des catalyseurs enzymatiques par combinaison d’approches rationnelles et combinatoire, et d’ingénierie métabolique permettant l’introduction de nouvelles voies métaboliques et la délétion génétique de voies parasites dans un microorganisme pour produire des composés d’intérêt industriel.

Plusieurs équipes de recherche poursuivent le rêve de la construction d’un microorganisme possédant un génome « minimal », lui permettant de demeurer viable et de se reproduire, dans lequel il serait possible d’intégrer à volonté telle ou telle voie métabolique aboutissant à l’obtention d’une véritable « usine cellulaire ». Il faut ici souligner que l’on est loin de comprendre l’ensemble du fonctionnement des bactéries les plus simples, que dans la « bactérie synthétique » annoncée par Craig Venter en 2010 seul le chromosome était synthétique (ce qui n’en constitue pas moins un remarquable exploit scientifique) et que la machinerie cellulaire indispensable préexistait. Le vivant synthétique n’est donc pas pour demain.

On peut également envisager de nouveaux modes de codage de l’information génétique, ainsi que la construction de protéines constituées d’acides aminés non naturels, ce qui illustre les nouvelles possibilités d’intervention sur le vivant non calquées sur la nature. La BS autorise ainsi potentiellement des ruptures et l’obtention de nouveaux produits non accessibles par les voies du génie génétique conventionnel.

Ces nouvelles possibilités de modification du vivant soulèvent bien entendu des questions d’éthique, de sécurité et de propriété intellectuelle, qui doivent être prises en compte le plus tôt possible. La récente mise en place de l’Observatoire de la biologie de synthèse au Conservatoire National des Arts et Métiers, doit permettre de répondre aux questions posées au plan sociétal.

Les biotechnologies industrielles (blanches)

Les outils biologiques sont utilisés depuis la nuit des temps pour l’obtention de produits d’intérêt à partir de matières premières renouvelables, d’origine animale ou végétale, tout d’abord de manière empirique (boissons, aliments…) ; plus récemment, ces outils ont été utilisés de façon rationnelle pour la production de molécules industrielles (antibiotiques, acides organiques et aminés, enzymes, biocarburants, intermédiaires pour la chimie, édulcorants). S’est ainsi développée au niveau mondial une industrie de la fermentation et de l’utilisation d’enzymes à partir des années 50, dont plusieurs produits se chiffrent en millions de tonnes par an. Cette industrie demeure bien représentée en France, malgré des cessions capitalistiques effectuées depuis vingt ans.

Aujourd’hui, les possibilités de modification du vivant qu’offre la BS décuplent les opportunités d’application des outils biologiques dans les secteurs de la chimie, des matériaux et de l’énergie, dans un contexte doublement prégnant de pénurie annoncée de carbone d’origine fossile et de nécessité de limiter au maximum l’empreinte carbone des procédés industriels pour préserver l’environnement. Á l’échéance de 2020, 15 % (en volume) des produits de l’industrie chimique pourraient être biosourcés. On observe déjà des succès industriels : synthons pour la chimie des polymères (acide lactique, 1,3-propanediol, acide succinique, isobutanol…).

Un des principaux défis à relever, à côté de l’intensification indispensable des procédés permettant d’atteindre des rendements, productivités et concentrations finales de produit aussi élevées que possible, est de pouvoir disposer de sources de carbone renouvelable fiables, viables économiquement et n’entrant pas en concurrence avec les usages alimentaires. La valorisation des biomasses ligno-cellulosiques (co-produits agricoles, forêt, cultures dédiées…) dans un concept intégré de « bioraffineries » est indispensable.

Recommandations

Si la France a connu dans le passé des développements industriels importants dans ce domaine, il faut constater que le niveau d’investissement public et privé demeure limité, malgré quelques initiatives isolées. La mise en œuvre de la biologie de synthèse, approche avant tout technologique, est une étape que notre pays doit franchir, comme l’ont déjà fait les Etats-Unis et d’autres pays européens. Pour favoriser l’essor de cette nouvelle bio-économie, basée sur la valorisation du carbone renouvelable, les mesures suivantes sont souhaitables :

  • Soutien aux actions de recherche permettant l’accès à la biodiversité microbienne pour identifier de nouveaux gènes et de nouvelles voies métaboliques : métagénomique fonctionnelle, métabolomique, bioinformatique, modélisation… Il est important de souligner que la microbiologie traditionnelle présente encore et toujours un intérêt majeur.
  • Soutien aux centres de séquençage des génomes et de traitement informatique des données obtenues.
  • Création de formations d’ingénieurs intégrant de manière volontariste et originale la biologie de synthèse à la biotechnologie, la modélisation, la chimie et au génie des procédés.
  • Création de masses critiques de R & D : les pôles d’Evry (Génoscope, CEA) et de Toulouse (Toulouse White Biotechnology) sont en cours de structuration grâce, notamment, aux Investissements d’avenir.
  • Soutien au développement de procédés industriels (démonstrateurs) par des incitations fiscales.
  • Mise en place d’une réflexion éthique et de développement durable pour tous les nouveaux procédés de biotechnologie industrielle.