Académie des technologies

Bernard Tardieu « Mesures des émissions de méthane : énormément de progrès ces dix dernières années »

Interview de Bernard Tardieu, Vice-Président du Pôle Energie, publiée dans le numéro 423 de la Revue ENJEUX, le magazine de la normalisation et du management (Editions AFNOR Avril 2022)

Enjeux : Pourquoi la mobilisation internationale pour réduire les émissions de méthane a-t-elle autant tardé ?

Bernard Tardieu : Je pense que les industriels du charbon, du gaz et du pétrole, qui constituent un lobby très puissant au niveau mondial, ont fait en sorte de détourner l’attention sur l’agriculture. Or les émissions du secteur énergétique sont essentielles. Ce sont de surcroît les plus faciles à réduire. Elles proviennent principalement de fuites d’installations mal réglées, par exemple les gazoducs ou les torchères qui sont censées transformer le méthane en CO2 mais en laissent échapper le plus souvent la moitié. Les mines de charbon, et d’ailleurs l’ensemble de la manipulation du charbon, émettent beaucoup de méthane – tout le monde connaît les coups de grisou ! Les industriels pourraient réduire ces émissions s’ils étaient motivés. Le plus efficace serait de donner un prix aux émissions de méthane, pour qu’ils soient incités financièrement à prendre les choses en main.

E. : Est-ce dans ce secteur que les marges de manœuvre sont les plus importantes ?

B. T. : Oui, et il faut le souligner. C’est un peu la même chose pour les décharges à ciel ouvert, qui émettent du méthane du moment qu’elles contiennent de la cellulose. Ces décharges sont interdites en France et en Europe, mais elles subsistent en Afrique et en Amérique du Sud, avec la difficulté, si l’on veut les supprimer, qu’elles font vivre des familles entières. Lutter contre les termitières géantes est un autre moyen d’action. On ne le sait pas forcément, mais ces termitières sont des émettrices de méthane non négligeables. De même pour les vers qui mangent les poutres des maisons de campagne !

E. : Les choses se compliquent quand il s’agit de limiter les émissions du secteur agricole, que ce soit les rizières ou l’élevage…

B. T. : Effectivement. Les rizières sont des zones humides et comme toutes les zones humides, elles émettent du méthane. Doit-on pour autant les supprimer, alors que les trois quarts de la population mondiale se nourrissent de cette céréale ? Cela ne me paraît pas raisonnable et en tout cas pas prioritaire. On peut en revanche chercher des variétés de riz mieux adaptées à cet enjeu, avec un argument intéressant pour les cultivateurs : l’émission de méthane réduit la productivité de cette culture. Concernant les fumiers et lisiers, on peut aboutir à un système vertueux : utiliser cette biomasse dans les champs, mais en recourant à la méthanisation. Le méthane produit par la fermentation peut être capté, purifié et envoyé dans le réseau.

E. : Comment lutter contre le méthane émis par les vaches ?

B. T. : Il faut d’abord prendre en compte le type d’élevage. Une vache dans sa prairie broute de l’herbe qui fermente dans son estomac, lequel émet du méthane. Mais sa bouse retourne au sol et fertilise la prairie, qui, elle, stocke du carbone. Il semblerait donc que les élevages extensifs soient neutres d’un point de vue climatique.

E. : A-t-on fait des progrès dans la mesure des émissions de méthane ?

B. T. : Il y a eu énormément de progrès ces dix dernières années. C’est très important dans le cas du méthane, qui est non seulement diffus mais qui, contrairement au CO2, a une durée de vie assez courte, de l’ordre de huit à dix ans. Des appareils laser installés au sol mesurent par absorption le méthane dans l’air. Ils offrent un suivi très précis. Il y a aussi dorénavant des satellites qui mesurent le méthane dans l’atmosphère. On obtient des images de la planète où peuvent être visualisés à certains endroits des nuages de méthane. Ces nouveaux outils sont porteurs de progrès considérables, car la mesure est un préalable à l’action, sans compter qu’ils permettent de progresser dans la connaissance du phénomène. Par exemple, on a longtemps pensé que les grandes forêts équatoriales étaient le poumon de la Terre. C’est vrai, mais pas tout le temps. Pendant la période des crues, ces zones sont inondées et émettent du méthane. Quant aux incendies de forêts, ils émettent du CO2 pendant une journée quand la forêt brûle avec des flammes, mais ils émettent ensuite du méthane pendant plusieurs jours quand le feu couve.

Propos recueillis par Emmanuelle Vignes