Académie des technologies

Les réseaux intelligents, smart grids, une des clés de l’optimisation du système électrique et de la transition énergétique

L’alimentation en eau, gaz, électricité, informations (téléphonie et Internet), de nos sociétés est assurée par des réseaux. Le réseau électrique présente la particularité de requérir en permanence l’équilibre entre la production d’électricité et la demande puisqu’aucun stockage n’est possible ; elle ne l’est qu’à travers d’autres formes d’énergie : chimique (batterie ou hydrogène), mécanique (eau des barrages, inertie des turbo-alternateurs), thermique (stockage de chaleur), etc. La problématique de la gestion de réseau est donc primordiale pour le réseau électrique. Pour cette raison, nous articulerons l’essentiel de notre propos autour de l’électricité.

La mise en réseau des installations électriques date du XIXème siècle (premier réseau alternatif réalisé au Massachusetts en 1886). Les réseaux électriques se sont depuis progressivement implantés dans tous les pays développés et interconnectés progressivement, d’abord à l’échelle régionale puis à l’échelle nationale et trans-nationale permettant des économies d’échelle sur la taille des centrales de production ainsi qu’une meilleure valorisation des ressources énergétiques géographiquement localisées.

Aujourd’hui, le réseau électrique européen permet des échanges d’énergie du Portugal à la Turquie, des pays nordiques aux pays du Maghreb et aux iles britanniques, même si chaque pays à travers des entreprises publiques ou privées, fortement régulées, est responsable de l’exploitation de ses réseaux.

Ce système a prouvé sa robustesse depuis des décennies. Il est organisé à deux niveaux :

  • Un réseau de transport à très haute et haute tension gérée en France par RTE (en France THT 225 kV et 400 kV : les autoroutes de l’électricité ; et HT : 90 et 63 kV). Selon la loi d’Ohm, plus élevée est la tension, plus faibles sont les pertes.
  • Un réseau de distribution à moyenne et basse tension géré en France par Enedis (MT : 20 kV ; BT : 400 V et 230 V) et généralement en antenne à partir d’un Poste Source.

 

Les réseaux électriques actuels sont confrontés à de nouveaux défis liés à la transition énergétique à l’ouverture du secteur à la concurrence et aux nouveaux usages de consommations :

  • Au niveau de l’Union européenne, l’engagement a été pris par l’ensemble des États membres de porter la part des énergies renouvelables à au moins 27 % de la consommation d’énergie de l’Union d’ici à 2030. L’enjeu essentiel pour le réseau français historiquement centralisé est d’accueillir ces énergies décentralisées, intermittentes et peu pilotables, tout en maintenant l’équilibre du réseau. Le développement de la production décentralisée conduit à multiplier les sites de production, et à injecter de l’énergie sur des réseaux de distribution conçus pour l’acheminer et non la collecter.
  • Parallèlement au développement des énergies renouvelables, de nouveaux usages voient le jour. Ces nouveaux usages de l’électricité consistent le plus souvent en des substitutions aux énergies fossiles pour répondre aux objectifs de neutralité carbone avec par exemple l’électrification des véhicules et des procédés industriels. D’autres usages déjà existants, comme la climatisation, s’intensifient. Les orientations actuelles prises par la France (SNBC, plan hydrogène, politiques sectorielles) conduisent à une perspective de hausse modérée de la consommation d’électricité de 35 % en 30 ans, soit 1% de croissance moyenne annuelle. La consommation électrique atteindrait alors 645 TWh en 2050 (trajectoire de référence). La gestion de la demande des consommateurs finaux sera tout aussi importante que la gestion des déséquilibres de production-consommation. Pour minimiser les capacités additionnelles des réseaux et des moyens de production, il est impératif de maîtriser les pointes de consommation. Cela peut se faire par la gestion fine de la demande « Demand Side Management».
  • La gestion d’un réseau à fort pourcentage d’énergies renouvelables requiert l’installation de capacités de stockage permettant au moins de gérer la variabilité intra journalière (pas de soleil la nuit ; pas de soleil pendant les pointes de demande l’hiver). En outre, les batteries des véhicules électriques, lorsqu’ils sont à l’arrêt et connectés au réseau peuvent être utilisées en stockage au bénéfice du réseau, pourvu qu’elles soient pleines lorsque l’utilisateur veut disposer de son véhicule. On conçoit donc que le réseau électrique de demain devra gérer localement les excès ou insuffisances de production, les stockages locaux dont ceux des véhicules et les interfaces avec le réseau de transport : il s’agit de la gestion non pas du réseau national, mais d’un « grid » local plus ou moins étendu.

 

Avec la croissance des énergies solaires et éoliennes, l’enjeu ne sera plus seulement l’équilibre global production – consommation ; mais l’équilibre dans chaque composante du réseau sur laquelle seront raccordés les nouveaux moyens de production non pilotables. Si par exemple la production raccordée au réseau de distribution à un instant donnée est excédentaire, il faudra la remonter vers le réseau de transport pour la distribuer ailleurs : le système électrique ne fonctionnera plus exclusivement sur un mode descendant mais il fonctionnera dans les deux sens. D’ores et déjà, avec le niveau d’installations solaires et éoliennes en France, 30% de leur production est remontée vers le réseau de transport.

Pour mieux gérer productions, stockages et consommations, il faudra que les réseaux deviennent « intelligents ». Concrètement, cela implique de disposer de multiples informations sur l’état du réseau, et d’optimiser économiquement et techniquement son exploitation en agissant à distance sur ses organes actifs. Il se met progressivement en place un pilotage numérique du réseau électrique nécessitant de collecter les mesures, les exploiter au moyen de logiciels d’optimisation, et d’envoyer les ordres nécessaires aux organes actifs du réseau. C’est cette conduite numérique du réseau électrique qui le constitue en un réseau intelligent ou « smart grid ».

Le développement des réseaux intelligents nécessite des efforts considérables de recherche et développement, en support de la définition et l’implémentation de solutions techniques dont certaines restent à inventer. Mais les réseaux intelligents seront l’une des clés de l’optimisation du système électrique et de la transition énergétique.

Lire la suite : Smart Grid Version finale du 14022023

 

Trimestriel de l’intelligence technologique (trimestriel de la Fondation de l’Académie des technologies)

Rédigé par Audrey Iranzo (Capgemini Engineering), Abderrahmane Jarrou (Capgemini Engineering), Usama Aziz (Capgemini Engineering), Dominique Vignon (Académie des technologies)

Avec les contributions / relectures de Christian Joubert (Capgemini Engineering), Jean-Paul Gomez (Capgemini Engineering), Alan Jean-Marie (Capgemini Engineering)

 

Parmi les trimestriels précédents, retrouvez notamment :

Matières premières critiques et évolutions technologiques : cas de l’énergie et de la mobilité au 21ème siècle

Le stockage électrochimique de l’énergie : enjeux, et futurs défis

Perspectives des technologies du Photovoltaïque

 

(Illustration : ©metamorworks – stock.adobe.com)

 

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